Entretien avec l’artiste turque Aysegül Özlenen Poroy
Aysegül Özlenen Poroy, grande artiste-peintre turque, est Professeure-associée et a un Doctorat en peinture. Femme sensible, émotive et engagée, madame Aysegül Özlenen Poroy a bien voulu, dans l’entretien qui suit, nous parler de son parcours artistique, des messages qu’elle essaye de véhiculer dans ses travaux- comme la rupture et l’appartenance- de l’Algérie et de sa prochaine exposition qui aura lieu au musée Ahmed Zabana d’Oran le 07 mars prochain.
Madame Aysegül Özlenen Poroy, pourriez-vous nous parler, brièvement, de votre parcours artistique ?
J’ai commencé très jeune à peindre avec le soutien de mon père. J’ai reçu des prix nationaux et internationaux quand j’étais au collège et au lycée. Après cela, j’ai fait l’académie royale belge de l’art flamand où j’ai été la première femme turque à y être intégrée. J’ai fait aussi un master et un Phd (Doctorat) à l’université d’Ankara. Et récemment, cette année, j’ai obtenu mon titre de Professeure associée. J’ai aussi eu le premier prix, avec deux autres artistes, lors d’une exposition en Macédoine.
Est-ce que le fait d’avoir fait plusieurs écoles d’art, donc plusieurs courants artistiques (Istanbul, Ankara, Rome, Bruxelles, Macédoine), n’influe-t-il pas directement sur vos travaux d’une manière ou d’une autre ?
En fait c’est comme un plat qu’on prépare et dans lequel on met plusieurs épices et ingrédients. Qu’on peut mettre au frigo et ressortir quand on en a besoin.
Je me considère vraiment chanceuse puisque j’ai fait des écoles d’art en Belgique et en Italie avec la renaissance du nord et du sud où l’on peut « goûter » à énormément de plats différents (connaitre et apprendre différents styles et techniques artistiques). Mais mes peintures sont originales puisqu’elles représentent ma propre vie et mon propre vécu. Parce que mon destin a voulu que je voyage continuellement avec mon père (qui était ingénieur), d’abord, et mon mari ensuite. Et le gros avantage dans tout cela c’est que ça vous permet de découvrir votre for intérieur.
Je ne peux pas dire que je suis au top de mon apprentissage puisque, pour l’art, on en apprend un peu plus durant toute notre vie. C’est un apprentissage continuel.
Justement, vous êtes épouse d’un diplomate (l’ambassadeur de Turquie en Algérie), donc vous voyagez beaucoup. Qu’est ce que tous ces voyages et la découverte de tous ces nouveaux paysages et nouvelles cultures apportent à votre peinture ?
Je me nourris de cela. C’est un avantage pour moi de découvrir de nouvelles couleurs et de nouveaux dessins (figures). Mais l’inconvénient c’est que dés que vous commencez à connaitre des gens, à vous habituer, vous devez quitter tout cela et repartir de zéro. Et ceci m’arrive tous les 2 ou 3 ans. Mais je décris les villes et pays où je passe selon ma propre vision et avec mes propres yeux.
La peinture peut-elle être un langage diplomatique ? Essayez-vous de l’utiliser dans ce sens ?
Non. Moi je suis artiste. Par contre, mon mari est diplomate et c’est donc lui qui utilise le langage diplomatique (rires). Mais, effectivement, il y a des messages dans mes peintures. Des messages artistiques plutôt que diplomatiques.
« L’Algérie est un très beau pays ensoleillé avec une nature riche et de très belles couleurs »
Cela fait plus de 3 ans et demi que vous êtes en Algérie. Qu’est ce que ce pays a apporté à vos peintures et à votre façon de peindre ? Et pourquoi ?
Bien sur que mes travaux et ma façon de travailler dépendent de l’environnement dans lequel je me trouve. Par exemple, j’ai passé 10 ans en Belgique où, le plus souvent, il fait sombre du fait de la grisaille. Donc je choisissais des techniques en rapport avec l’environnement dans lequel je me trouvais, comme les techniques de la gravure. Je travaillais beaucoup plus dans mon atelier. Mais ici, je ne peux pas rester dans mon atelier. C’est impossible (rires). C’est un très beau pays avec du soleil en permanence. Une nature très riche, fleurie, avec de très belles couleurs. J’adore ce pays. En fait, je suis constamment à l’extérieur pour peindre. D’ailleurs vous remarquerez que sur mes peintures (relatives à l’Algérie) la nature est toujours mise en premier plan et les symboles en arrière plan.
Vous êtes donc dans le semi-figuratif et l’expressionnisme abstrait ?
Oui, vous pouvez dire cela. En fait, durant ce siècle, il est très difficile pour un artiste de se définir dans une catégorie. J’utilise beaucoup les symboles et des techniques mixtes. C’est de la peinture contemporaine bien sûr. Je ne m’impose jamais de frontières dans mes travaux.
Pourquoi choisir le grand format ?
C’est pour que les gens qui regardent mes tableaux puissent y « rentrer » pleinement. Qu’ils se sentent à l’intérieur de ces tableaux.
Nous remarquons que vous traduisez vos émotions essentiellement via les couleurs ? Pourquoi ce choix d’expression émotionnelle ?
Oui c’est vrai. C’est ma nature. En général vous trouverez n’importe où dans le monde, dans chaque pays, des artistes qui choisissent de représenter leurs émotions soit par le dessin soit par la couleur. C’est un grand débat. En fait, c’est un langage artistique. Moi je choisis la couleur. Mais actuellement, et depuis les années 70’, dans l’art moderne, il n y a plus de règles et plus de références. C’est plus flexible.
« Dans mes peintures, j’essaye de ne pas oublier le triste sort des réfugiés et des émigrants »
Votre première exposition en solo remonte à 22 ans (1997). Quels changements notoires y a-t-il eu, depuis, dans vos travaux ? Plus de maturité ? Plus de compréhension et prise de conscience des injustices sociales ?
Si vous lisez le même livre à 15 ans, 20 ans ou 50 ans, la lecture sera différente. Vous pourriez y trouver de nouveaux aspects. Pour moi, et spécialement durant les 10 dernières années, les tristes histoires d’émigration, des réfugiés, la situation de ces familles, de ces femmes, de ces enfants, me touchent profondément. Ceci est ma destinée, comme je vous l’ai déjà dit. Je me déplace et déménage tout le temps un peu partout dans le monde. Je dis tout le temps « au revoir » aux amis que je laisse derrière moi et je redémarre, constamment, de zéro. C’est vraiment un grand problème pour les familles de diplomates, l’éducation des enfants et leur identité. Et c’est le même problème pour les émigrants et les réfugiés qui sont à la recherche de leur identité. C’est le sujet de mes messages et de mon art actuellement.
Vous savez, récemment, dans mon pays (la Turquie), il y a eu plus de 500.000 réfugiés qui sont venus (sur un total de 4 millions qui s’y trouvent). Je suis artiste peintre mais aussi professeure associée, enseignante, et je me sens responsable de l’éducation de toutes ces personnes, de leur santé, de leurs conditions de vie. Je pense que c’est de la responsabilité de tous. Dans mes peintures j’essaye de ne pas oublier et de me rappeler ces gens là. C’est un sujet très important.
Combien d’expositions avez-vous déjà présentées en Algérie ?
Il y en a eu deux. Une en solo et une 2ème avec d’autres artistes turcs au Musée des Beaux Arts.

Quel sera l’intitulé de votre prochaine exposition et pourquoi cet intitulé ?
« Au-delà de l’horizon », parce que je me déplace tout le temps (rires). Autre chose, avant de venir ici j’ai entendu beaucoup de choses sur l’Algérie. Mais finalement, je me suis rendu compte que je ne connaissais rien du tout. J’aime beaucoup les algériens.
Combien d’œuvres allez-vous présenter ? Elle se déroulera où et quand ?
Pour ma prochaine exposition il y aura entre 25 et 27 œuvres. Elle aura lieu à Oran, au musée Ahmed Zabana, à partir du 07 mars 2019 (à l’occasion de la journée internationale des femmes). Et elle durera 01 mois.
On m’a demandé d’exposer mes peintures un peu partout en Algérie, et ça aurait été avec plaisir, mais malheureusement c’est impossible puisque c’est notre dernière année ici, en Algérie.
« N’abandonnez jamais votre passion! »
Je vous laisse le mot de la fin.
Je voudrais dire que je suis une femme, une épouse, une mère, une artiste et je n’ai jamais abandonné mon art. Donc mon message s’adresse aux femmes mariées, aux demoiselles, aux enfants…à tout le monde en fait : n’abandonnez jamais votre passion quelle qu’elle soit et quelques soient les obstacles que vous rencontrez. N’abandonnez jamais ! Foncez !

Nassim ILÈS